Le paradis d’être sur la route

Le paradis d’être sur la route

Bienvenu au Canada, en ce début juillet 2023. Le panneau du Yukon se dresse devant moi, je viens de recevoir le premier tampon sur mon passeport. L’officier des douanes n’avait pas l’air d’être plus étonné que ça de me voir franchir la frontière par la route la plus au nord : la top of the world Highway. Il doit bien avoir quelques autres aventuriers à vélo qui passent par là. Une route construite le long d’une ligne de crête de 1000 mètres de hauteur qui après plus de 120 kilomètres redescend finalement 500 mètres plus bas vers le fleuve Yukon.

J’arrive à Dawson City, et dès ma première vision je ressens l’énergie particulière qui flotte au dessus de la ville. Un motard du nom de Glenn m’a gentiment donné de l’eau plus tôt dans la journée et il m’invite à dîner. On traverse le fleuve Yukon avec le bac et on marche dans la ville.
Les rues en terre battue, les trottoirs en planche de bois et les devantures des bâtiments: tout est réunies pour faire un plongeon dans le passé, à l’époque de la ruée vers l’Or il y a plus de 100 ans.

Après quelques jours passés à me reposer et à me préparer pour la suite, je comprend un peu mieux ce qu’il y a de particulier dans cette ville. Un savant mélange entre touristes, chercheurs d’Or, locaux, et jeunes artistes. Un mix unique qui crée cette énergie si particulière; pour moi similaire à celle de Berlin.

Sur la carte quand on regarde le Nord Ouest du Canada on peut apercevoir une route qui va jusqu’à l’Océan Arctique. La première fois que j’ai vu cette route j’ai tout de suite su que j’avais envie d’aller rouler dessus. Tuktoyaktuk ou «Tuk » comme ils disent là haut c’est le dernier village avant l’océan. Ça sera mon objectif. Au programme presque 900 kilomètres de gravel road.

J’espère avant le départ vers le nord que le temps sera sec. En Alaska j’avais expérimenté de rouler sous la pluie sur de la gravel road et il faut dire que quand c’est mouillé ça devient vraiment dur d’avancer sur un vélo.
Je pars avec un grand sourire, une petite douleur au genou, et une motivation sans limite. Mes sacoches ont rarement été aussi chargées: 10 jours de nourritures, principalement du riz des lentilles corail, des boîtes de thon et du boeuf séché.

Les premiers coup de pédales sur la Dempster Highway sont doux, j’y vais doucement avec mon corps et mon genou. Mais je sens que ça va. J’en profite pour ajuster la pression des pneus, 3 bars sur les pistes au lieu de 5 bars pour rouler sur la route goudronnée. Ça change tout, c’est plus confort, j’écrase les graviers au lieu de glisser sur chacun d’entre eux. C’est beaucoup plus facile pour garder sa trajectoire. Ca me rappelle quand je faisais des compétitions de cyclocross. On était toujours à ajuster la pression mais là c’était encore plus précis. Est ce que c’est mieux avec 2,1 ou 2,3 bars ? Certains diront que ça changeait tout pour aller plus vite dans les virages.
Aucune course à gagner ce coup ci, juste rouler, manger, dormir dehors et recommencer.

Au bout de 3 jours sur la route vers l’Arctique, je rencontre Xavier un Canadien avec qui le feeling passe tout de suite. On discute musique, vélo, canoë. Le premier soir on se baigne nu dans une rivière. Un moment assez magique je dois dire. Etre dans l’eau, voir le courant, les couleur du ciel, la végétation : j’ai vraiment pris le temps de savourer l’instant.
Mais j’oubliais presque de vous dire à propos des moustiques, ces petits insectes si nuisibles et si pénibles quand on est 24h/24h dehors. Ils sont là tout le temps, pas de repit, ils sont comme le soleil qui ne se couche pas dans le nord. Avec Xavier on s’est surnommé les “chasseurs de vents”. La moindre petite brise et on avait le sourire parce que ça voulait dire pas de moustiques. Je crois que je n’ai jamais autant aimé le vent sur un vélo. Ça avait beau rendre l’effort plus intense, être sans les moustiques c’était juste le bonheur. Petit à petit j’ai fini par avoir toute la panoplie anti-moustique : spray, baume après piqures, roll qui font de la fumée.
Mais tout ça n’égalait pas le réconfort de la moustiquaire de la toile de tente une fois installée pour le bivouac du soir. Ma tente, ma seconde maison que j’ai depuis 6 ans et qui m’a protégé des éléments bien des nuits commençait sérieusement à montrer des signes de fatigue. Surtout au niveau des zips de la moustiquaire. Autant dire que j’y allais tout doucement. Je priais pour qu’elle tiennent debout encore quelques nuits pour m’abriter de cet enfer d’insectes. Parce que oui, en plus des moustiques, il y avait aussi pleins de mouches qu’on a pas en France et qui piquent…
La meilleur nuit fut à la frontière de la région du Yukon et des Territoires du Nord Ouest. Un petit col dans l’immensité de la toundra. Ça été une nuit douce et magique comme ça arrive parfois sur la route.

Avec Xavier on montait nos tentes pas très loin l’un de l’autre; mais cette nuit là on était vraiment collé l’un à l’autre comme pour se sentir un peu moins seul dans l’immensité qui nous entourait.

Premier village après 600 kilomètres, Fort McPherson est notre premier contact avec les autochtones qui sont pour la plupart Inuits. On se fait invité à mangé dans la salle communale avec les personnes âgées pour qui d’autres habitants font à manger ce jour là de la semaine. Je me retrouve alors face à une gentille dame de 80 ans dont j’essaye de comprendre ce qu’elle me dit en anglais. Un moment normal pour eux, pour qui le partage dans la communauté semble être la base. Tout le monde est très gentil avec nous et je passe un bon moment à être assis à la même table que cette vieille dame. Ça me rappelle tout les gens dont je m’occupais à Nantes.

L’arrivé à Tuk semble s’ajuster parfaitement avec le calendrier du village parce que nous arrivons le jour de l’ouverture des jeux nordiques (jeux traditionnels pour la sauvegarde des traditions millénaires des Inuits)

Un sentiment d’accomplissement m’envahit quand je vois l’océan, l’odeur du port de pêche me rappelle Penmarc’h en Bretagne. Au final on reste sur terre même si loin vers le pole Nord.

D’autres cyclo faisant aussi la Dempster arrive en même temps que nous et on se retrouve à 6,7,8,9 en face l’océan à se raconter nos péripéties. La bonne ambiance règne et Xavier fait des pancakes pour tout le monde. En tant que seul canadien de la bande il nous apprend les secrets des pancakes.

Après une baignade dans l’Arctique (obligé) il est temps de repartir dans l’autre sens.
La motivation ayant atteint ses limites quand au fait de pédaler dans le sens inverse, il reste le stop. Pas si compliqué dans se pays rempli de pick-up.

Mais une surprise nous attend, deux soeur francaises, Margot et Lucile en van avec Axe et Néo leurs deux chiens, nous prennent en stop. Un sacré tetris pour rentrer les trois vélo, parce que oui un autre cyclo, un français du nom de Zian s’est joint à nous  pour redescendre vers Dawson City. Quatre français un canadien, un chien français, un autre canadien. Un beau mélange dans ce van qui nous emmène facilement vers le Sud. La poussière qui flottait à l’intérieur de l’habitacle, je crois que ça restera ma plus belle vision. C’était beau comme dans le film Interstellar où ils arrivent à communiquer à travers la poussière entre père et fille. Une belle vision et des belles discussions plus tard, nous voici arrivé à Dawson avec l’envie de rester un peu plus tous les cinq.

Cette belle bande qui s’est crée par la magie de la route. La décision est prise et ça sera 2 jours de canoë sur le fleuve Yukon. Deux jours envoûtants avec un bivouac incroyable sur une île paradisiaque. Je m’improvise maître du feu le temps d’un soir avec succès, tout se passe bien et on est dans le bon timing pour la fête de la Pride du vendredi soir à Dawson. Première vrai fête de ce voyage, ça fait plaisir. Surtout avec la communauté queer du Yukon. Mention spéciale à Margot et Lucile qui ont enflammé le dancefloor !

Avec tristesse et en même temps un certain besoin de se retrouver de nouveau tout seul, nous nous disons tous au revoir.

Je repars donc vers le Sud pour de bon, après se « petit « détour.

Margot m’a parlé d’un festival de musique un peu plus loin sur ma route à Keno City et encore une fois pas besoin d’aller plus vite ou moins vite je suis parfaitement dans le bon timing. Donc presque obligé d’aller faire encore un petit détour par là bas.
Quelques énormes nuages de fumée dus aux feux de forêts plus loin, j’arrive à Keno City, village de dix habitants perdu au fond des montagnes. Le festival a lieu là, au milieu du village, dans la poussière. Et dès les premiers instants, je suis conquis. Malgré la musique que je ne connais pas très bien (country, blues canadiennes) l’ambiance est incroyable. La moitié du public est couvert de tatouage et a au moins un chien si ce n’est deux. Autant dire qu’il y a plus de chiens que d’humains à ce festival. Margot m’avait prévenu ! Deux jours incroyables avec son lot de groupes plus ou moins bons et cette reprise magistrale de 10 The Coasters - Down In Mexico. Je pense alors très fort à Elina avec qui on a dansé plus d’une fois sur cette chanson <3

Le temps est venu de remettre mes fesses sur la selle et de donner de nouveaux coups de pédales.

Arrivé à Whitehorse après plusieurs jours de route, je suis accueilli comme un roi dans le chalet de Britta que j’avais rencontré sur la Dempster. Elle faisait la Dempster avec Myriam. Les seules femmes que j’ai rencontrée sur un vélo depuis le départ d’Anchorage. Britta est solidaire de mon long voyage et me laisse même son grand lit pour que je puisse me reposer. Les jours passent et on est vraiment sur la même longueur d’onde. Randonnée, bon repas, belle discussion au coin du feu, je reste presque une semaine chez elle sans m’en rendre compte. Un grand merci à elle et à son si beau chalet.

Premier changement de chaîne après 3600 kilomètres et me voilà reparti sur la route.

Watson Lake où j’ai vu mes premières aurores boréales avec Margot et l’un de ses copains Clément qui croiseront une nouvelle fois mon chemin. Puis la Cassiar Highway où Zian devrait logiquement me rattraper. Je passe peu de temps seul mais qu’importe je suis ouvert à tout ce que m’apporte la route. Je sais aussi que je devrai faire face, dans le futur à de plus longues périodes seul. Mais pour l’instant, je profite de l’instant présent. Zian me rattrape comme prévu et on roule une petite semaine ensemble. Un incroyable personnage, une force de la nature capable de rouler 140 kilomètres par jour, tous les jours pendant des semaines. Il prévoit d’atteindre Ushuaïa en moins d’un an alors qu’il est parti de Montréal…

J’espère qu’il aura une liseuse quand il lira ses lignes, parce qu’il avait 10 livres dans ses sacoches la dernière fois que je l’ai vu..

On s’est promit de se revoir dans les Alpes, au pied du Mont Blanc, là où il vit.

J’écris ces lignes alors que je suis à Prince George, j’écoute The Schizophonics meilleur surprise que j’ai vu en concert durant l’année 2022.
La route qui s’annonce me réjouit car c’est montagnes, montagnes, montagnes !

Bientôt les Rocheuses !

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